XP, maladie génétique rare

Les jumeaux se cachent pour survivre

(Octobre-Novembre 2001)

Joël DONNET

 
Joël DONNET est aujourd'hui responsable du département Magazine à Gamma, qui fournit des sujets, textes et photos dans une cinquantaine de pays.
 
Samedi 8 décembre, dans le cadre du Téléthon 2001, a lieu la seconde Marche des Maladies rares, à Paris, afin de sensibiliser pouvoirs publics et scientifiques à des pathologies dites orphelines car trop souvent ignorées. Parmi elles, le xeroderma pigmentosum (XP), qui affecte au maximum une cinquantaine de jeunes en France, dont l'hypersensibilité aux UV accroît dramatiquement le risque de cancers de la peau. Nous avons rencontré d'étonnants petits jumeaux de huit ans, dont la famille, volontaire malgré tout, se bat pour leur intégration autant que faire se peut et a créé une association.
 

Vêtus de blanc de la tête aux pieds, cagoule et gants compris, avec en prime de grandes lunettes de ski rouge, les petits Vincent et Thomas s'extasient devant les sarcophages égyptiens exposés au Musée du Louvre. Autour d'eux, les visiteurs trouvent ce déguisement de Halloween particulièrement réussi, évoquant la décontamination lors d'alertes à l'anthrax !


copyright (c) Raphaël Gaillarde / Gamma

Mais ces combinaisons n'ont rien de ludique : véritables carcans, elles sont véritablement vitales pour ces jumeaux de huit ans. Atteints de xeroderma pigmentosum (XP), une maladie génétique rare, ils ne supportent pas l'exposition aux UV du soleil ou de certaines lumières artificielles et doivent donc absolument s'en protéger. Au risque de développer rapidement des cancers de la peau irrémédiablement mortels !

Voilà six ans que leurs parents, Bernard et Françoise, deux professeurs de mathématiques de 48 ans enseignant à Dax (Landes), ont appris le diagnostic fatal. Quasiment au même moment, alors qu'ils venaient d'avoir deux ans, Vincent présentait des taches de rousseur étonnantes suite à un coup de soleil, tandis que Thomas avait un bouton sous l'œil droit. Dans les deux cas, l'analyse révélait la présence de tissus cancéreux et un dermatologue portait le diagnostic de XP. Des analyses génétiques allaient confirmer cette maladie génétique autosomique récessive (les deux parents sont porteurs du gène déficient, sur un chromosome non sexuel, sans être malades). Une maladie baptisée en 1882 par Kaposi, l'un de ses découvreurs, du nom de xeroderma pigmentosum en référence à la peau caractéristique sèche et pigmentée (exposés seulement deux ans aux UV, Vincent et Thomas ont d'ailleurs encore le visage moucheté de taches de rousseur).
 

Un risque de cancer multiplié par 4.000

Des sept variantes, dont certaines peuvent entraîner aussi des troubles neurologiques, les petits jumeaux souffrent de la forme C, la plus commune en Occident. S'il n'existe qu'une cinquantaine de cas connus en France, selon le Dr. Alain Sarasin, directeur de recherche d'un laboratoire du CNRS à Villejuif et expert du XP, cette pathologie est surtout répandue en Afrique du Nord (un millier de cas en Tunisie) et au Japon.

Pour ces malades, souvent appelés les XPs en raccourci, l'exposition de la peau au soleil, mais aussi plus précisément à l'ensemble des UVB (et en plus faible proportion aux UVA), multiplie par 4.000 le risque de cancer (tumeurs non mélanomes) et par 1.000 pour les mélanomes. Les premiers signes de lésions et tumeurs apparaissent en général vers un ou deux ans et, en l'absence de protection, l'espérance de vie ne dépasse guère l'adolescence.

" On nous a dit qu'ils n'iraient guère plus loin que 10 ans ", se souviennent les Séris. Pourtant, ils refusent la fatalité et décident de protéger au maximum leurs enfants des UV du soleil ou des lumières artificielles.


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Dans leur ville de Dax, où ils avaient scolarisé leurs deux filles aînées, on leur fait comprendre qu'il faut s'adresser à leur petite commune de résidence, le village de Tercis situé à une dizaine de kilomètres. Le maire se montre immédiatement ouvert et fait aménager une salle de classe et la cantine avec des filtres anti-UV aux fenêtres -comme dans toutes les pièces de la maison familiale et sur les vitres de la voiture et du camping-car. Thomas et Vincent sont toutefois obligés de rester en classe pendant la récréation, avec un ou deux camarades à tour de rôle, et participent exceptionnellement aux activités sportives communes (à l'intérieur). Alors qu'ils doivent être enduits de crème protectrice (indice 60 à 100) toutes les heures et demie lorsqu'ils vont à l'école, " le plus difficile fut d'obtenir de l'Education nationale des gens pour les 'crémer' et les surveiller quand ils restent en classe ", se souvient leur mère.


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Penser quand même à l'avenir

Ce dimanche matin, après avoir regardé quelques dessins animés à la télévision et qu'un soleil éclatant s'élève lentement dans le ciel, les enfants étudient leur leçon, sans même penser aux paradoxes. " Le - chasseur - rêve un instant - puis revient à la - réalité : la grotte est -vide - le feu est mort. Il a compris : par ce - beau temps, tous sont - dehors ", lit de façon heurtée Thomas à sa sœur Céline, 11 ans, qui a toujours manifesté beaucoup d'attention à ses petits frères. Pendant ce temps, les mains croisées sur la tête, Vincent récite à son père deux vers nouveaux d'une poésie de Victor Hugo : " Il semble que nos yeux qu'éblouissait l'été ont à peine eu le temps de voir les feuilles vertes. " Deux yeux si fragiles, eux aussi, pour ces jumeaux, qui portent des lunettes aux formes enveloppantes…

Un peu plus tard, Vincent, le plus espiègle et poète, nous raconte qu'il souhaite plus tard devenir policier, tandis que Thomas, très attiré par la vulgarisation scientifique, voudrait " filmer les requins ".

" Eux comme nous préférons parfois oublier les risques de l'avenir et penser à leur métier futur ", remarque leur père, tandis que la maman souligne leur compréhension encore partielle de leur état. " Ils disent que c'est bête d'avoir cette maladie parce qu'elle les empêche de partager certaines activités de leurs camarades. Après une visite du Dr. Sarasin, Thomas m'a demandé : 'Et s'ils ne trouvent rien, on est fichus ?' La mort récente de leur grand-père les a aussi un peu perturbés. Toutefois, ils ne se mettent pas de limitation dans l'avenir. S'ils expriment des frustrations, ils ont aussi l'avantage de vivre plus la nuit, ce qui a un côté magique que des amis leur envient -comme les baignades nocturnes sur la plage éclairée du Capbreton.

" Mais, ce qui m'inquiète le plus, c'est l'acceptation de la discipline sévère à laquelle ils sont soumis : à cet âge-là, on obéit à toutes les consignes mais on ne peut pas toujours imposer et il faudra un jour qu'ils acceptent cet état de fait. C'est par crainte d'un rejet que nous envisageons un suivi psychologique car nous ne sommes pas certains de pouvoir répondre à tout. "

 
Des combinaisons plus protectrices

Car la vie de ces enfants est un véritable parcours du combattant. Il leur faut notamment éviter les produits qui pourraient se révéler cancérigènes pour ces malades, tels le Coca et le café, et prendre des suppléments de vitamine D. " Attention ! ", crie chaque membre de la famille avant d'ouvrir la porte de la maison pour entrer ou sortir, afin que les jumeaux ne soient pas exposés aux UV sans protection. Pour l'essentiel, ils sont confinés aux activités intérieures, en tout cas dans la journée et jusqu'au coucher du soleil -même si le fait d'être deux et d'avoir un ordinateur avec des jeux et une console Nintendo aide à les occuper. " Ce n'est plus une maison, c'est un terrain de jeu ", se lamente parfois la mère, même si elle admire leur combativité lorsqu'ils grimpent aux murs opposés du couloir, un pied et une main sur chacun ("Mon record est de quatre minutes 10!", clame fièrement Thomas!). Toute sortie impliquait jusqu'ici de badigeonner de crème filtrante les parties de la peau exposées, tout en se couvrant de tissus spéciaux.

Aujourd'hui, la crème -dont la mère use de 200ff par jour, non remboursés par la Sécurité sociale !- n'est plus indispensable dans tous les cas. Des anciens élèves et des amis, réunis dans l'association Du soleil pour les Enfants de la Lune, leur ont offert en avril deux combinaisons pour chaque enfant, fabriquées en tissu spécial par un sous-traitant américain de la NASA. Un compromis entre les besoins de filtrer les UV et de pouvoir respirer, qui équivaut en protection à une bonne crème -L'Oréal a testé l'efficacité de ce filtrage en laboratoire pour les Séris. " Mais, à 30.000 francs les quatre combinaisons, à changer tous les deux ans, l'avantage pratique acquis est un peu cher ", souligne le papa !

Ce sont toutefois ces combinaisons qui ont permis aux enfants de sortir sans danger du camping-car en plein jour et d'aller visiter le Louvre et la Galerie de l'Evolution du Museum d'Histoire naturelle, lors de la semaine de vacances de la Toussaint passée à Paris. Elles aussi qui leur facilite grandement les deux séances hebdomadaires de judo, dans une salle spécialement équipée de fenêtres filtrantes et de lumières adéquates à la demande d'un architecte sensibilisé.

 
Dosimètre indicateur

Car chaque lumière artificielle doit être testée, grâce à un petit boîtier américain que les Séris ont réussi à se procurer voilà quatre ans. Il permet de calculer la dose d'UVB -les plus dangereux par leur effet direct sur la modification du patrimoine génétique- enregistrée par 24 heures. Voulant à tout prix limiter les risques, ils ont encore réduit de moitié la dose limite qui leur avait été conseillée, de 0,006 DME par heure pour huit heures d'exposition (la DME, dose minimale érythémateuse est l'exposition au soleil qui provoque un coup de soleil avec rougeur). Aussi, dès que le dosimètre passe sous la mesure de 3 (soit 0,003 DEM / heure), aucun danger n'existe plus à sortir sans protection. Et, en cette fin d'après-midi, dans le sous-bois face à la maison de Tercis, quand le dosimètre passe sous la barre fatidique, les enfants tout heureux retirent leurs grosses lunettes de ski rouges. En sens inverse, lors d'une visite récente chez des amis, l'appareil s'est affolé à 240 devant une lampe au-dessus d'une table ! Il faut toujours se méfier des néons et autres halogènes. De même que la maman surveille de près toute lésion ou toute tache sur la peau, qui présenterait un danger potentiel -les grosses tignasses de cheveux aident, quant à elles, à protéger le crâne.


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Tous les problèmes, qui " viennent encore ajouter à la détresse ", ont poussé les Séris à créer en novembre 2000 une association en France pour regrouper les familles d'enfants XP. Huit sont ainsi déjà réunies dans les Enfants de la Lune, Association pour le xeroderma pigmentosum. Une association qui commence à faire bouger quelques mentalités et qui, sur le modèle américain, envisage un camp d'activités d'une dizaine de jours, l'été prochain pour ces enfants pouvant sortir sans danger ni protection uniquement la nuit.

Gardent-ils un espoir de thérapie ? " Oui et non ", répond Bernard Séris. " Oui, forcément, mais nous refusons d'avoir cela en ligne de mire. Nous ne voulons pas trop y penser. "

 
Une thérapie génique pas avant 10 ans au mieux

Dans son laboratoire de Villejuif, le Dr. Sarasin se montre très circonspect et avoue ne même pas pouvoir prédire l'espérance de vie de ces enfants XP, les premiers avec quelques Américains à se protéger avec autant de précautions. Mais, même si le danger de cancer de la peau est fortement réduit, il dit craindre les risques psychologiques, avec notamment l'envie de vivre " comme les autres " à partir de l'adolescence, ainsi que les risques importants de tumeurs internes.

Avec une équipe de L'Oréal, son laboratoire vient de fabriquer in vitro un échantillon de peau xeroderma qui permettra de faire progresser la recherche -aussi utile, de façon générale, pour l'étude du cancer de la peau de Monsieur tout le monde. Il essaie en outre de travailler à une thérapie génique, avec des résultats " pas avant 10 ans, au mieux ". De nombreux problèmes restent en effet à surmonter, dont la durée de vie du gène modifié ou le fait de savoir si le morceau de peau greffé gagnerait le restant de la peau ou serait au contraire colonisé par les cellules malades -sans parler de la question du coût d'une telle thérapie.

Sera-t-il possible de préserver Vincent, Thomas et les autres jusque là ? La vitalité des deux jumeaux, leurs véritables pulsions de vie laissent en tout cas présager d'une victoire.


copyright (c) Raphaël Gaillarde / Gamma