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Joël
DONNET est aujourd'hui responsable du département Magazine à Gamma, qui
fournit des sujets, textes et photos dans une cinquantaine de pays.
Samedi 8 décembre,
dans le cadre du Téléthon 2001, a lieu la seconde Marche des Maladies rares,
à Paris, afin de sensibiliser pouvoirs publics et scientifiques à des
pathologies dites orphelines car trop souvent ignorées. Parmi elles, le
xeroderma pigmentosum (XP), qui affecte au maximum une cinquantaine de
jeunes en France, dont l'hypersensibilité aux UV accroît dramatiquement le
risque de cancers de la peau. Nous avons rencontré d'étonnants petits
jumeaux de huit ans, dont la famille, volontaire malgré tout, se bat pour
leur intégration autant que faire se peut et a créé une association.
Vêtus de blanc de la
tête aux pieds, cagoule et gants compris, avec en prime de grandes lunettes
de ski rouge, les petits Vincent et Thomas s'extasient devant les
sarcophages égyptiens exposés au Musée du Louvre. Autour d'eux, les
visiteurs trouvent ce déguisement de Halloween particulièrement réussi,
évoquant la décontamination lors d'alertes à l'anthrax !

copyright (c) Raphaël Gaillarde / Gamma
Mais ces combinaisons
n'ont rien de ludique : véritables carcans, elles sont véritablement vitales
pour ces jumeaux de huit ans. Atteints de xeroderma pigmentosum (XP), une
maladie génétique rare, ils ne supportent pas l'exposition aux UV du soleil
ou de certaines lumières artificielles et doivent donc absolument s'en
protéger. Au risque de développer rapidement des cancers de la peau
irrémédiablement mortels !
Voilà six ans que leurs
parents, Bernard et Françoise, deux professeurs de mathématiques de 48 ans
enseignant à Dax (Landes), ont appris le diagnostic fatal. Quasiment au même
moment, alors qu'ils venaient d'avoir deux ans, Vincent présentait des
taches de rousseur étonnantes suite à un coup de soleil, tandis que Thomas
avait un bouton sous l'œil droit. Dans les deux cas, l'analyse révélait la
présence de tissus cancéreux et un dermatologue portait le diagnostic de XP.
Des analyses génétiques allaient confirmer cette maladie génétique
autosomique récessive (les deux parents sont porteurs du gène déficient, sur
un chromosome non sexuel, sans être malades). Une maladie baptisée en 1882
par Kaposi, l'un de ses découvreurs, du nom de xeroderma pigmentosum en
référence à la peau caractéristique sèche et pigmentée (exposés seulement
deux ans aux UV, Vincent et Thomas ont d'ailleurs encore le visage moucheté
de taches de rousseur).
Un risque de cancer multiplié par
4.000
Des sept variantes,
dont certaines peuvent entraîner aussi des troubles neurologiques, les
petits jumeaux souffrent de la forme C, la plus commune en Occident. S'il
n'existe qu'une cinquantaine de cas connus en France, selon le Dr. Alain
Sarasin, directeur de recherche d'un laboratoire du CNRS à Villejuif et
expert du XP, cette pathologie est surtout répandue en Afrique du Nord (un
millier de cas en Tunisie) et au Japon.
Pour ces malades,
souvent appelés les XPs en raccourci, l'exposition de la peau au soleil,
mais aussi plus précisément à l'ensemble des UVB (et en plus faible
proportion aux UVA), multiplie par 4.000 le risque de cancer (tumeurs non
mélanomes) et par 1.000 pour les mélanomes. Les premiers signes de lésions
et tumeurs apparaissent en général vers un ou deux ans et, en l'absence de
protection, l'espérance de vie ne dépasse guère l'adolescence.
" On nous a dit qu'ils
n'iraient guère plus loin que 10 ans ", se souviennent les Séris. Pourtant,
ils refusent la fatalité et décident de protéger au maximum leurs enfants
des UV du soleil ou des lumières artificielles.

copyright (c) Raphaël Gaillarde / Gamma
Dans leur ville de Dax,
où ils avaient scolarisé leurs deux filles aînées, on leur fait comprendre
qu'il faut s'adresser à leur petite commune de résidence, le village de
Tercis situé à une dizaine de kilomètres. Le maire se montre immédiatement
ouvert et fait aménager une salle de classe et la cantine avec des filtres
anti-UV aux fenêtres -comme dans toutes les pièces de la maison familiale et
sur les vitres de la voiture et du camping-car. Thomas et Vincent sont
toutefois obligés de rester en classe pendant la récréation, avec un ou deux
camarades à tour de rôle, et participent exceptionnellement aux activités
sportives communes (à l'intérieur). Alors qu'ils doivent être enduits de
crème protectrice (indice 60 à 100) toutes les heures et demie lorsqu'ils
vont à l'école, " le plus difficile fut d'obtenir de l'Education nationale
des gens pour les 'crémer' et les surveiller quand ils restent en classe ",
se souvient leur mère.

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Penser quand même à l'avenir
Ce dimanche matin,
après avoir regardé quelques dessins animés à la télévision et qu'un soleil
éclatant s'élève lentement dans le ciel, les enfants étudient leur leçon,
sans même penser aux paradoxes. " Le - chasseur - rêve un instant - puis
revient à la - réalité : la grotte est -vide - le feu est mort. Il a compris
: par ce - beau temps, tous sont - dehors ", lit de façon heurtée Thomas à
sa sœur Céline, 11 ans, qui a toujours manifesté beaucoup d'attention à ses
petits frères. Pendant ce temps, les mains croisées sur la tête, Vincent
récite à son père deux vers nouveaux d'une poésie de Victor Hugo : " Il
semble que nos yeux qu'éblouissait l'été ont à peine eu le temps de voir les
feuilles vertes. " Deux yeux si fragiles, eux aussi, pour ces jumeaux, qui
portent des lunettes aux formes enveloppantes…
Un peu plus tard,
Vincent, le plus espiègle et poète, nous raconte qu'il souhaite plus tard
devenir policier, tandis que Thomas, très attiré par la vulgarisation
scientifique, voudrait " filmer les requins ".
" Eux comme nous
préférons parfois oublier les risques de l'avenir et penser à leur métier
futur ", remarque leur père, tandis que la maman souligne leur compréhension
encore partielle de leur état. " Ils disent que c'est bête d'avoir cette
maladie parce qu'elle les empêche de partager certaines activités de leurs
camarades. Après une visite du Dr. Sarasin, Thomas m'a demandé : 'Et s'ils
ne trouvent rien, on est fichus ?' La mort récente de leur grand-père les a
aussi un peu perturbés. Toutefois, ils ne se mettent pas de limitation dans
l'avenir. S'ils expriment des frustrations, ils ont aussi l'avantage de
vivre plus la nuit, ce qui a un côté magique que des amis leur envient
-comme les baignades nocturnes sur la plage éclairée du Capbreton.
" Mais, ce qui
m'inquiète le plus, c'est l'acceptation de la discipline sévère à laquelle
ils sont soumis : à cet âge-là, on obéit à toutes les consignes mais on ne
peut pas toujours imposer et il faudra un jour qu'ils acceptent cet état de
fait. C'est par crainte d'un rejet que nous envisageons un suivi
psychologique car nous ne sommes pas certains de pouvoir répondre à tout. "
Des combinaisons plus protectrices
Car la vie de ces
enfants est un véritable parcours du combattant. Il leur faut notamment
éviter les produits qui pourraient se révéler cancérigènes pour ces malades,
tels le Coca et le café, et prendre des suppléments de vitamine D. "
Attention ! ", crie chaque membre de la famille avant d'ouvrir la porte de
la maison pour entrer ou sortir, afin que les jumeaux ne soient pas exposés
aux UV sans protection. Pour l'essentiel, ils sont confinés aux activités
intérieures, en tout cas dans la journée et jusqu'au coucher du soleil -même
si le fait d'être deux et d'avoir un ordinateur avec des jeux et une console
Nintendo aide à les occuper. " Ce n'est plus une maison, c'est un terrain de
jeu ", se lamente parfois la mère, même si elle admire leur combativité
lorsqu'ils grimpent aux murs opposés du couloir, un pied et une main sur
chacun ("Mon record est de quatre minutes 10!", clame fièrement Thomas!).
Toute sortie impliquait jusqu'ici de badigeonner de crème filtrante les
parties de la peau exposées, tout en se couvrant de tissus spéciaux.
Aujourd'hui, la crème
-dont la mère use de 200ff par jour, non remboursés par la Sécurité sociale
!- n'est plus indispensable dans tous les cas. Des anciens élèves et des
amis, réunis dans l'association Du soleil pour les Enfants de la Lune, leur
ont offert en avril deux combinaisons pour chaque enfant, fabriquées en
tissu spécial par un sous-traitant américain de la NASA. Un compromis entre
les besoins de filtrer les UV et de pouvoir respirer, qui équivaut en
protection à une bonne crème -L'Oréal a testé l'efficacité de ce filtrage en
laboratoire pour les Séris. " Mais, à 30.000 francs les quatre combinaisons,
à changer tous les deux ans, l'avantage pratique acquis est un peu cher ",
souligne le papa !
Ce sont toutefois ces
combinaisons qui ont permis aux enfants de sortir sans danger du camping-car
en plein jour et d'aller visiter le Louvre et la Galerie de l'Evolution du
Museum d'Histoire naturelle, lors de la semaine de vacances de la Toussaint
passée à Paris. Elles aussi qui leur facilite grandement les deux séances
hebdomadaires de judo, dans une salle spécialement équipée de fenêtres
filtrantes et de lumières adéquates à la demande d'un architecte
sensibilisé.
Dosimètre indicateur
Car chaque lumière
artificielle doit être testée, grâce à un petit boîtier américain que les
Séris ont réussi à se procurer voilà quatre ans. Il permet de calculer la
dose d'UVB -les plus dangereux par leur effet direct sur la modification du
patrimoine génétique- enregistrée par 24 heures. Voulant à tout prix limiter
les risques, ils ont encore réduit de moitié la dose limite qui leur avait
été conseillée, de 0,006 DME par heure pour huit heures d'exposition (la DME,
dose minimale érythémateuse est l'exposition au soleil qui provoque un coup
de soleil avec rougeur). Aussi, dès que le dosimètre passe sous la mesure de
3 (soit 0,003 DEM / heure), aucun danger n'existe plus à sortir sans
protection. Et, en cette fin d'après-midi, dans le sous-bois face à la
maison de Tercis, quand le dosimètre passe sous la barre fatidique, les
enfants tout heureux retirent leurs grosses lunettes de ski rouges. En sens
inverse, lors d'une visite récente chez des amis, l'appareil s'est affolé à
240 devant une lampe au-dessus d'une table ! Il faut toujours se méfier des
néons et autres halogènes. De même que la maman surveille de près toute
lésion ou toute tache sur la peau, qui présenterait un danger potentiel -les
grosses tignasses de cheveux aident, quant à elles, à protéger le crâne.

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Tous les problèmes, qui
" viennent encore ajouter à la détresse ", ont poussé les Séris à créer en
novembre 2000 une association en France pour regrouper les familles
d'enfants XP. Huit sont ainsi déjà réunies dans les Enfants de la Lune,
Association pour le xeroderma pigmentosum. Une association qui commence à
faire bouger quelques mentalités et qui, sur le modèle américain, envisage
un camp d'activités d'une dizaine de jours, l'été prochain pour ces enfants
pouvant sortir sans danger ni protection uniquement la nuit.
Gardent-ils un espoir
de thérapie ? " Oui et non ", répond Bernard Séris. " Oui, forcément, mais
nous refusons d'avoir cela en ligne de mire. Nous ne voulons pas trop y
penser. "
Une thérapie génique pas avant 10
ans au mieux
Dans son laboratoire de
Villejuif, le Dr. Sarasin se montre très circonspect et avoue ne même pas
pouvoir prédire l'espérance de vie de ces enfants XP, les premiers avec
quelques Américains à se protéger avec autant de précautions. Mais, même si
le danger de cancer de la peau est fortement réduit, il dit craindre les
risques psychologiques, avec notamment l'envie de vivre " comme les autres "
à partir de l'adolescence, ainsi que les risques importants de tumeurs
internes.
Avec une équipe de
L'Oréal, son laboratoire vient de fabriquer in vitro un échantillon de peau
xeroderma qui permettra de faire progresser la recherche -aussi utile, de
façon générale, pour l'étude du cancer de la peau de Monsieur tout le monde.
Il essaie en outre de travailler à une thérapie génique, avec des résultats
" pas avant 10 ans, au mieux ". De nombreux problèmes restent en effet à
surmonter, dont la durée de vie du gène modifié ou le fait de savoir si le
morceau de peau greffé gagnerait le restant de la peau ou serait au
contraire colonisé par les cellules malades -sans parler de la question du
coût d'une telle thérapie.
Sera-t-il possible de
préserver Vincent, Thomas et les autres jusque là ? La vitalité des deux
jumeaux, leurs véritables pulsions de vie laissent en tout cas présager
d'une victoire.

copyright (c) Raphaël Gaillarde / Gamma
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